Le Champ transféro-intertransférentiel
Le transfert familial ne dépend pas seulement de la situation d’analyse familiale, il pré existe à la rencontre entre la famille et l’analyste ; cependant la particularité du dispositif de la thérapie familiale (présence de différentes générations, libre association, verbale ou préverbale et l’abstinence) révèle et permet de figurer, d’observer, les formes d’organisation fantasmatique et les défenses qui déterminent la souffrance dans les liens familiaux. C’est-à-dire que la création d’un espace de holding onirique groupal, d’un cadre contenant permettra de mentaliser les angoisses primitives brutes reçues en héritage par la famille.
La fondation de l’espace de thérapie familiale permet d’actualiser et de créer de nouvelles alliances inconscientes et des pactes entre la famille ou l’équipe d‘analystes, un nouveau contrat narcissique pour établir un espace intermédiaire qui facilite la subjectivation et l’autonomie de chacun de membres de la famille.
E. Pichon Rivière xe «Pichon Rivière E.» (1970) disait que le groupe familial met l’analyste dans la toute-puissance ou l’impuissance. Mais le transfertxe «transfert» ne serait pas seulement expression de la résistance, de la répétition, mais dans le même temps, il est projet, tentative de transformation.
L’écoute groupale de la famille situe le travail thérapeutique comme un champ de liaison, de régression et de progression dans la rencontre entre la famille et l’équipe d’analystes. La nouvelle rencontre provoque des effets dans l’ensemble, considéré comme « néo-groupe » thérapeutique. Je préfère utiliser le mot intertransfert aussi quand il y a un seul analyste, parce que le travail avec les familles mobilise surtout notre propre groupe interne familial et nos groupes d’appartenance institutionnelle. Si bien que l’effet de présence de plusieurs analystes permet de travailler des aspects différents du champ transféro- intertransférentiel. (R. Kaës, 1976)
L’inter transfert pourrait être un obstacle, ou un outil de travail ou bien un champ d’observation actif du processus de la thérapie familiale.
Le champ d’observation transféro-inter-transférentiel de la thérapie familiale est constitué d’un dispositif spatio-temporel de séances et de post-séances. Notre dispositif (groupe de l’Association pour le Développement du Soin Psychanalytique Familial à Lyon) suppose une fréquence par quinzaine, une durée de séance d’une heure, et de deux moments de pré-séance et post-séance pour analyser l’inter transfert.
Nous considérons le champ transféro-intertransférentiel comme un espace asymétrique mais analyste et famille construiront un cadre qui créera un espace onirique partagé donnant sens aux éprouvés et vécus familiaux. Le champ serait le scénario actuel, les topos d’expression des modalités pathologiques de lien, réactualisées dans la rencontre.
La diffraction du champ transféro-intertransférentiel
Le cadre de Thérapie Familiale, comme non-processus (Bleger, 1967) permettrait particulièrement l’émergence de fantasmes et de défenses préœdipiennes et il mobiliserait ainsi la diffraction des différents mouvements transféro-intertransférentiels. La diffraction serait un mécanisme de défense inverse à la condensation qui permet de figurer les différents aspects du Moi de chaque membre du groupe familial dans l’espace de la séance de la thérapie. Je reformule ici la notion introduite par R. Kaës (1993). Cette diffraction du transfert serait le résultat des aspects de la transmissionxe «transmission» trans-générationnelle non-transformés particulièrement repérables dans l’analyse de l’inter transfertxe «transmission» des équipes et sur le méta-cadre institutionnel.
La diffractionxe «diffraction» du transfertxe «transfert» se réalise au début sur le contenant (dispositif thérapeutique). Le contenant thérapeutique permet d’accueillir les contributions anonymes des noyaux transgénérationnels.
J’élargis les concepts introduits pour A. Béjarano (1975) et A. Eiguer (1986) pour situer comment ses mécanisme opèrent tout au long de la thérapie.
Ainsi la diffraction se manifeste comme :
– Transfert-intertransfert xe «transférentiels:centraux» central vers l’analyste et le cadre. Le transfert sur l’analyste ou l’équipe dans le moment de fondation de la thérapie. À ce propos, E. Granjon (1989) signale que l’analyste ou l’équipe (quand on travaille à plusieurs) seront les ancêtres fondateurs de ce néo-groupe ; Ils offrent une nouvelle filiation dans leurs alliances avec nos propres ancêtres et groupes d’appartenances professionnelles.
– Transfert-intertransfert latéral : c’est-à-dire du lien parento-filial et du lien fraternel dans sa dimension inter et générationnelle.
– Transfert-intertransfert xe «transférentiels:latéraux»du groupe famille comme objet d’investissement libidinal,
– Et comme transfert-intertransfert vers le monde extérieur constitué par la famille élargie, ou par la belle famille.
Les liens familiaux
Je définis les liens familiaux comme des structures de relation dans lesquelles les sujets partagent des fantasmes qui leur assignent des places. La famille est un groupe qui se caractérise par des liens de filiation horizontale ou intergénérationnelle et transversale ou transgénérationnel ; avec des configurations particulières, lien d’alliance, lien filial et lien fraternel.
Les ensembles de complexes (fantasmes et défenses) mobilisés dans le processus de la Thérapie Familiale correspondent à l’étape préœdipienne et déterminent différentes formes de transfert et intertransfert.
Les formes transféro-inter-transférentielles
Je différencie alors trois types de transfert-intertransfert qui seraient l’actualisation intergénérationnelle des éléments transgénérationnel.
En premier, un transfert transgénérationnel précoce. Avec trois modalités : le transfert d’auto-engendrement – le transfert transgénérationnel en clonage et le transfert en jumeaux
En deuxième, un transfert d’un noyau central transgénérationnel de nature dépressive avec deux modalités : un transfert transgénérationnel disséquant – et un transfert transgénérationnel topique
En troisième, un transfert névrotique qui correspond au complexe d’Œdipe et qui n’est pas spécifique à la thérapie familiale. J’aborde en premier le transfert précoce
Les formes du transfert-intertransfert précoce
Le transfert précoce (D.W.Winnicott 1945) correspond aux aspects les plus archaïques du lien transférentiel. Il pensait que le développement émotionnel primitif était lié à une fonction de l’analyste isomorphe avec celle des soins maternels. Dans le transfert précoce, ce n’est pas le passé qui revient au présent, mais plutôt le présent qui s’est transformé en passé. Le phénomène transférentiel a ici une réalité immédiate, ce qui oblige l’analyste à y faire face, non avec son bagage interprétatif verbal mais avec des attitudes. Le développement émotionnel primitif est inaccessible à l’interprétation ; il s’agit de le laisser spontanément se reconstruire. Il apparaît comme langage d’action, en fonction des différentes configurations des liens, filial, fraternel ou de couple. Et ces formes s’y figurent dans le champ transféro-intertransférentiel par des défaillances qui apparaissent souvent comme failles du lien intertransférentiel dans l’équipe d’analystes familiaux. Je remarquerai différentes formes du transfert précoce.
Premièrement, un transfert-intertransfert d’auto-engendrement
Nous pouvons accorder que pour J.P.Racamier (1992), ce mode de figuration dans l’antœdipe est un fantasme/non-fantasme. Celui-ci n’a pas la « vertu d’être un scénario » et il n’a pas la capacité de s’articuler avec d’autres fantasmes. Il est plus proche de l’éprouvé corporel. Sa configuration est d’être le générateur de sa propre vie : l’auto-engendrement et son revers, l’auto-désengendrement.
J’introduis la problématique de l’auto-engendrement du corps familial à travers le cas clinique de la famille Simonetxe «la famille Simonet», dont les grands-parents étaient à la fois mari et femme et frères et sœurs. Dans cette famille, j’ai mis en relief l’aspect transgénérationnelxe «transgénérationnel» de l’incestexe «inceste», dans lequel il n’existe pas de différenciation entre le dedans et le dehors notamment dans le choix du conjoint, puisque Francette, la mère, après s’être séparée de son mari (extérieur à la famille), a pris avec son frère, le relais pour le quotidien et on suppose qu’elle en a eu un nouvel enfant.
En effet, l’union avec son mari ne peut pas durer à cause du type de lien à l’objet primordial qui empêche la séparation de chacun des conjoints d’avec son groupe d’originexe «origine».
Dans la famille Simonetxe «la famille Simonet», le lien d’alliancexe «lien d’alliance» n’est pas différencié du lien de parenté, par conséquent la relation de consanguinité (frère-sœur) se superpose à la relation d’alliance. Les fratries sont alors les fondatrices de la même lignée. (R. Jaitin, 2006).
Deuxièment, une autre forme serait le fantasme de clonagexe «fantasme:de clonage»
Correspondant à une figuration du lien comme un double identique d’un ancêtre reproduit par parthénogenèse, structuré sur un modèle de lien isomorphique. Il correspond à une forme de reproduction où le sujet serait un double ancestral. Le clonage, quant à lui, est un lien automatique, robotique qui répond à un héritage maudit commandé par les ancêtres.
Dans la relation de couple, filial et fraternel, l’autre peut être nié et néantisé. L’un est alors le clone de l’autre, et non pas un être différent du soi.
J’ai souligné que le fantasme de clonage nous confronte à différentes formes d’organisation du lien fraternel (R. Jaitin, 2006) :
Ainsi quand une sœur ou un frère sont une réincarnation de l’Ancêtre ou deviennent le gardien du frère : réincarner l’ancêtre ou avoir à charge son frère ou sa sœur est en lien avec l’abandon maternel.
Ou bien quand frères et sœurs sont dans un lien pervers de se liguer entre eux pour satisfaire la jouissance et le pouvoirxe «pouvoir» des parents. La fratrie devient alors le clone des parents, elle est régulée par des fantasmes d’inversion générationnelle.
Dans le travail intertransférentiel, les équipes peuvent êtres anéantis dans leurs capacités de pensée : ainsi, les dogmatismes défensifs font que les analystes se collent aux lignées fondatrices de la psychanalyse ou de la thérapie familiale.
Troisièment, un transfert transgénérationnel en jumeaux
Les fantasmes de jumelage xe «fantasme:de jumelage»impliquent un autre sujet conçu dans un lien xe «lien fraternel» bisexuel syncrétique, alors que les fantasmes de clonage impliquent une représentation par duplication. W. Bion (1958) montre que le jumeau imaginairexe «jumeau imaginaire» est là pour empêcher le sujet de naître, d’acquérir sa liberté et son indépendance. La création du jumeau imaginaire traduit une incapacité à tolérer un objet qui ne serait pas entièrement sous son contrôle. Le jumeau imaginaire a donc pour fonction de dénier une réalité autre que la sienne et la réalité psychique interne. Ainsi, le jumeau imaginairexe «le jumeau imaginaire» tout en étant une partie du sujet clivée, empêche le non-moi d’émerger.
Notre travail onirique d’équipe à la recherche des chaînons manquants répond à ce transfert en jumeaux : nous sommes souvent soumis à la place de l’idéal auquel s’identifie la famille pour s’approprier un surmoi protecteur et différenciateur. Pourtant les équipes risquent de rester fusionnées à la famille dans un fonctionnement tout puissant. Nous aborderons maintenant la deuxième catégorie.
Les formes du transfert-intertransfert central de nature dépressive
1 – En premier, le transfert par dédoublement narcissique
G. Rosolato(1976) a étudié l’infrastructure de la dépression xe «infrastructure de la dépression» qui comporte une blessure du moi idéal dans sa figuration du double. Celle-ci réactive la plus archaïque des angoisses, celle de l’enfant mort.
Dorothée vient me consulter au sujet de son état dépressif. Cette femme est fille unique. La grand-mère maternelle a eu trois enfants : un fils et deux filles. Son fils aîné a été pris et tué par les Allemands peu avant la Libération quand Dorothée avait 2 ans. Une des filles est décédée d’une pneumonie à la fin de la guerre (Dorothée avait 5 ans) et la deuxième fille (mère de Dorothée) est la seule vivante. Le grand-père paternel de Dorothée est décédé quand elle avait 14 ans.
Sa mère disait toujours « qu’elle avait eu de la chance que son oncle ait été là parce qu’avant la Libération si les militants étaient absents, un autre membre de la famille était capturé et tué ». Et sa mère disait aussi qu’heureusement qu’il était là sinon, c’est Dorothée, qui aurait été prise. Dans le village, c’était souvent des enfants qui étaient désignés.
Les destins des arrière-grands-pères des deux lignées sont similaires. Ils sont morts jeunes et ce sont leurs femmes respectives qui les ont remplacés au travail.
2 – En deuxième, le transfert transgénérationnel de la parentalité morte
La parentalité morte, correspond à un «deuil blanc». C’est un désinvestissement massif, radical de l’enfant qui laisse des traces dans l’inconscient sous forme de trous psychiques. Je prolonge ici la notion de «mère morte» d’A. Green (1980).
Cliniquement nous observons fréquemment cet état qui se caractérise par la disparition et la réapparition des parents dans la réalité quotidienne.
J’ai déjà présenté cette famille don les parents sont d’origine cambodgienne.et étaient réfugiés politiques en Thaïlande, les deux aînés y sont nés, alors que les plus jeunes sont nés à Marseille. (R. Jaitin, 1999).
Après le placement des enfants au foyer, les parents apparaissent et disparaissent alternativement. À travers le contre-transfert et l’intertransfert, les équipes ressentent que la disparition des parents provoque rage et impuissance chez les enfants. L’institution tente d’adapter le cadre aux possibilités des parents et accorde, par exemple, tout de suite la permission de visite chaque fois qu’un des parents se manifeste. Malgré cela, la rupture du cadre se répète, car les rendez-vous ne sont pas honorés. Les enfants restent alors dans une attente et une incertitude permanentes.
3– En troisième, le transfert transgénérationnel disséquant
À propos de mon travail avec une famille souffrant d’anorexie, j’ai proposé (R. Jaitin,2006) de considérer que le lien familial lutte contre des angoisses trans-générationnelles « disséquantes. Ces angoisses rendent compte de l’éprouvé corporel de la dissection dans la recherche pour s’approprier un passé vécu. Le contrôle dans le corps serait une tentative d’évitement, de crainte de répétition d’une expérience traumatique.
Dans l’intertransfert de l’équipe, l’état de « vampirisation », le sentiment d’être vider nous traverse. Nous étions deux co-thérapeutes. Mais l’absence ponctuelle de l’une d’entre nous produit aussi des effets particuliers dans le contenu des séances, permettant à la famille de faire des liens associatifs féconds liés à l’histoire transgénérationnelle.
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4- Pour finir, en quatrième, un transfert transgénérationnel cryptique
Face au traumatisme, l’introjection cède la place à l’incorporation et la crypte occupe la place du refoulement. Cette nouvelle “topique réalitaire” décrite par Abraham-Torok serait déchiffrable à partir des rythmes (dans le langage du corps) ou des rimes (dans le langage d’origine).
Ces formes rythmiques de la transmission du transgénérationnel se réactualisent dans le transfert topique de la thérapie familiale et sont déposés sur le cadre. C’est la métonymie des formes qui permettrait le déchiffrage à travers le transfert topique.(B. Duez, 2000) Ce dernier est une forme de spatialisation du transfert et fonctionne par diffraction, laquelle est une forme de figuration multiple des aspects du Moi familial associant le déplacement, la décondensation et la multiplication du semblable.(R. Kaës, 1993)
Nous pouvons observer les transferts successifs d’un patient sur plusieurs analystes dans le célèbre cas de S. Freud, « l’Homme aux loups ». Ou le cas d’une famille suivie pendant plus de cinq ans par trois équipes d’analystes, ce qui rend compte d’une adhésivité au cadre, expression souvent de situations d’inceste fraternel. Une modification du cadre due à la maladie d’un collègue transforme le cadre en processus et permet d’actualiser des relations incestueuses dans la famille et dans l’équipe d’analystes.
Spécificité de l’intertransfert en Thérapie Familiale Psychanalytique
Je prendrai les catégories de l’ami lié au familier et de l’ennemi lié à l’étranger comme des figures métaphoriques du mouvement transféro-intertransférentiel,
L’amitié est un lien qui, du point de vue psychanalytique, serait le résultat de deux modalités du transfert : le transfert d’intrusion et le transfert fraternel. Et, dans ce sens, ils mobilisent dans les équipes différents types de contre-identifications, d’étayage, de complémentarité, de rivalité ou de tyrannie.
L’amitié serait alors une forme d’alliance inconsciente avec des sujets qui, généralement, ont une proximité générationnelle fondée sur l’attrait des différences et des ressemblances.
L’amitié serait à l’origine de le paradoxe entre la symétrie et la dissymétrie du champ transféro-intertransférentiel.
L’amitié se manifeste alors comme une réactualisation du transfert fraternel, à partir de la figure de l’intrus. Cette dernière donnerait alors accès aux traces de l’histoire transgénérationnelle. Le « frater » serait une modalité de lien qui fait appel au sensoriel et au sensuel, comme formes primaires d’amour.
Ami-ennemi
Le transfert fraternel situe l’autre dans le domaine public, parce qu’il est extérieur (étranger) au lien mère- enfant. Et les autres sont représentés comme appropriateurs-expropriateurs.
Etre propriétaire dans la famille signifie avoir une place dans la sexuation et dans la généalogie. C’est ainsi que le transfert fraternel organise le lien dans la catégorie du politique, parce qu’il pousse la psyché à assimiler l’intrus comme ennemi, comme non-moi et comme l’ami du moi. Par cette désappropriation, le frater ennemi est alors situé comme enjeu de pouvoir, dans la sphère politique. Le frère dans la relation gémellaire serait celui qui peut surprendre et trahir. Dernier composant du transfert amical, c’est qu’il porte des secrets. (J. Puget-, L. Wender 1980).
Dans une double perspective, si le secret occupe une place dans le monde interne, il donnerait le droit à pouvoir penser (P. Aulagnier, 1976). Ou bien le secret pourrait être à la base de la crypte endopsychique (S. Tisseron, 1992). Ce double aspect du secret traverse les liens des équipes dans leur relation avec leurs institutions d’appartenance.
Le monde secret des équipes permettrait la différenciation d’avec leur institution dans leurs rapports générationnels. Mais cet univers organisateur de l’espace psychique du lien est aussi soumis à la trahison et à l’aveu. Les alliances inconscientes avec les institutions comme substituts parentaux (dans un versant régressif) et avec les liens d’équipe (dans un versant progressif de subjectivation) attaquent souvent l’illusion de l’unité d’une équipe de travail. Quand le lien familial est fondé sur un pacte dénégatif radical, sur le modèle de la crypte, la fraternité dans les équipes se voit attaquer parce que se réactualisent des poches toxiques du lien qui appartiennent aux événements traumatiques de l’histoire familiale.
Les espaces de l’amitié dans le champ transféro-intertransférentiel
Le champ transféro-intertransférentiel réactualise dans les équipes différents types de résonances :
D’une part, « l’amitié intime », serait un pôle endogamique propre à la famille avec une composante érotique et tendre, présent dans les différentes configurations des liens familiaux Ce type d’amitié se caractérise par la « fidélité », envers le groupe d’appartenance et implique la possession de l’autre. (F. Ulloaxe «Ulloa F.» ,1995).
L’amitié intime dans les équipes d’analystes serait l’effet d’un intertransfert familial précoce et pourrait facilement devenir un obstacle dans le travail avec les familles.
Par ailleurs, dans l’autre pôle de l’échelle se trouvent « les amitiés étrangères xe «amitié:étrangère» ». Dans ce type de lien, exogamique, prévalent les différences. On ne parle pas la même langue. Le langage cesse d’être un dialecte pour se référer à l’universel. Ce sont alors les différences qui unissent. L’amitié serait ainsi un résultat de la loyauté. Les « amis étrangers » se cherchent dans la distance. Il y a un espace vide, surmontable seulement par la parole ou par la correspondance écrite.
La question de l’amitié nous confronte comme analystes de famille et de couple au problème des origines du « savoir » dans une double perspective :
-Soit nous nous inscrivons avec les familles dans une filiation, qui nous permet de reconnaître la tâche commune de construction d’un savoir au-delà de la dissymétrie et de la différence ;
– Soit nous nous inscrivons dans la lutte de la propriété et de la fidélité comme détenteurs d’un fantasme d’auto-engendrement.
Dans cette organisation duelle de l’amitié , il y a toujours un intrus et la représentation de l’intrus comme double ou comme un autre permet de situer l’amitié dans le terrain de l’intime, de l’étranger ou d’un tiers différenciateur.
Nous allons traiter ces questions à partir d’une famille (R. Jaitin, 2006) qui a été prise en charge par différents groupes d’analystes appartenant à la même association professionnelle. Les équipes ont rejoué ainsi les failles filiatives et affiliatives de la famille.
La famille Houli a été suivie pendant plus de cinq ans par trois équipes d’analystes, constituée par un thérapeute principal et deux thérapeutes en formation d’analyste de familles. La première équipe était constituée par un thérapeute principal homme et une femme qui est partie à la retraite pendant la troisième année de thérapie. J’ai succédé à cette femme pour pouvoir m’insérer dans l’association française de thérapie familiale. L’idée était que la mise en place du cadre assure la continuité de la ligne fondatrice de l’association.
Deux mois après mon arrivée, mon collègue tombe malade. La famille veut pourtant continuer la thérapie. Nous avons alors refondé une équipe de thérapeutes constituée de trois femmes (moi-même et deux thérapeutes en formation d’analyste familial). Nous changeons le lieu et le jour des séances et nous demandons à la famille une petite participation financière symbolique. La présence de la troisième collègue, membre fondateur de l’association où la thérapie avait lieu, produit une crise dans l’équipe figurée par l’adhésion incontestable au modèle institutionnel.
Par rapport au transfertxe «transfert:institutionnel» institutionnel, j’étais arrivée la dernière comme thérapeute formatrice, mais j’étais en fait l’aînée en âge et formation et étrangère à l’originexe «origine» de l’institution
Différents niveaux du champ transféro-intertransférentiel mettaient en lumière deux aspects centraux de l’histoire familiale.
-L’un concernait la temporalitéxe «temporalité» :
D’une part, l’analyse interminable de cette famille dans une relation d’adhésivité au cadre. L’adhésivité au cadre caractéristique d’une « relation épileptique » permettait de signifier les crises épileptiques de l’enfant du père) arrivé le dernier dans la famille recomposée, bien qu’étant le plus âgé des enfants ; D’autre part, la famille ne semblait pas établir un transfertxe «transfert» central différencié vers les équipes d’analystes qui se succédaient de façon interchangeable. La question de l’affiliationxe «affiliation» à la filiationxe «filiation» devient centrale. Le sujet n’arrive pas à s’inscrire dans une filiation et ne peut pas se séparer.
L’autre aspect concernait la place de l’argent dans l’inter-transfertxe «transfert» et dans le lien de couple. Le père, médecin en Afrique, était obligé de travailler dans des tâches secondaires en France. La mère était donc le seul soutien économique de ses deux filles et prenait à charge le fils de son mari.
L’introduction de la paye symbolique a permis de marquer la fin de la thérapie. Elle a été peut-être la limite qu’implique une séparation et qui introduit la véritable temporalitéxe «temporalité» de l’absence et de la castration.
L’argent modifie le lien thérapeutique en introduisant les notions de dette et d’échange et transforme le lien d’amitié intime en lien d’amitié étrangère poussant à la différenciation. L’introduction de l’argent a aussi touché les origines de la thérapie (la filiation) dans la relation avec la troisième équipe d’analystes (affiliation). L’argent apporte donc la double originexe «origine» filiative et culturelle dans cette famille difficilement recomposée où chacun avait du mal à récupérer sa place. Ceci se rejoue dans l’inter-transfertxe «transfert» des trois équipes de thérapie familiale analytique qui ont pris en charge cette famille.
Conclusion
La diffraction du champ transféro-intertransférentiel a comme objet de condensation l’intertransfert du groupe d’analystes. Il serait notre outil privilégié d’écoute, surtout quand il devient un obstacle dans le processus thérapeutique.
L’autoengendrement, le clonage et le jumelage sont des formes du transfert-intertransfert précoce, qui se reconstruisent pendant la thérapie familiale par des aires d’expression du lien archaïque comme le langage d’action.
Par ailleurs, le dédoublement narcissique, la parentalité morte, le transfert disséquant et le transfert cryptique nous confrontent à des niveaux plus ou moins régressifs d’un noyau pathogène de nature dépressive qui traverse la souffrance dans les liens familiaux.
L’amitié dans l’intertransfert des analystes et sa contrepartie l’inamitié mobilise la question du pouvoir dans les liens. Cette dimension du pouvoir est généralement mise à l’écart dans l’analyse, créant des poches de « secret » qui peuvent être constitutives des espaces de différenciation groupale entre les analystes et la famille, générationnelle entre les parents et les enfants, ou bien d’individuation des enfants entre eux. Mais le silence du « pouvoir » dans les liens peut aussi créer des poches toxiques.
Les différentes formes du transfert précoce ou du transfert dépressif confrontent souvent à des luttes de pouvoir pour occuper une place dans la généalogie, dans la sexuation et dans l’ouverture vers l’autre. Chaque lignée provoque une violence fondamentale dont la filiation aura la tâche de dépasser les malformations de la transmission entre les générations.
Les différentes résolutions de l’occupation fantasmatique des places dans la famille vont configurer des formes particulières aux liens d’amitiés entre les analystes. Ainsi les équipes traverseront des tempêtes pour arriver à une phase qui tempère le trop chaud ou le trop froid des liens familiaux.
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Résumé
L’auteur explicite le transfert- intertransfert intergénérationnel ou horizontal et le transfert transversal ou transgénérationnel. Différentes formes de transferts -intertransferts, en particulier les transferts précoces et dépressifs parcourent les modalités particulières d’échange dans les familles.
Les formes des amitiés entre les analystes sont des scénarios intertransférentiels et ils contribuent à la création de la mythopoïesis familial.
Mots clés:
Champ transféro-intertransférentiel. Précoce – Dépressif – amitiés.
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Resumen
El autor explicita la transferencia-intertransferencia intergeneracional u horizontal y la transferencia-intertransferencia transversal o transgeneracional. Diferentes formas de transferencias e intertransferencias, en particular las transferencias precoces y depresivas recorren las modalidades de intercambio en las familias.
Las formas de amistades entre los analistas son escenarios intertransferenciales que contribuyen a la creación de la mitopoética familiar.
Palabras claves:
Campo transfero – intertransferencial. Precoz – depresivo – amistad.
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Rosa Jaitin
Docteur en psychologie clinique. PAST Faculté de Psychologie- Université Paris V
Secrétaire aux affaires internationaux S.F.T.F.P.- Directrice scientifique d’APSYLIEN