Ce travail est une synthèse de l’intégration finale de chef d’équipe de recherche sur le lien dans la psychanalyse à partir de documents présentés par les membres du groupe de recherche. Nous avons également eu la participation des membres du groupe qui a travaillé sur la synthèse des contributions individuelles. Ils apprécient tous le dévouement, l’effort, et l’accent mis sur le travail accompli. Nous tenons à souligner et reconnaître l’appui des autorités AIPCF et le Conseil des représentants et le stimulus et la capacité de motivation de Alberto Eiguer (président AIPCF).
Groupe de recherche:
Le lien dans la psychanalyse
- Lucía Balello (Padova- Italia): El Vínculo
- Pierre Benghozzi (Hyeres – Francia): Maillage, Démaillage, Remaillage Psychanalytique des Liens
- David Benhaim (Quebec – Canadá): Intersubjectivité et Lien
- Sofía Boccardo, Isabel Domenech y Silvia Muzlera (Mendoza–Argentina): Pensar el vínculo desde el psicoanálisis
- Michelle Dubost (Association Psyfa –Francia) : Le concept de « lien »
- Ezequiel Jaroslavsky (Buenos Aires – Argentina): El vínculo en el psicoanálisis
- Christiane Joubert (Lyon – Francia) : Le lien
- Jean Lemaire (Versailles- Francia) : Le Lien
- Michele Minolli (Génova – Italia): Oltre il legame
- Irma Morosini (Buenos Aires –Argentina): Acerca del concepto princeps de vínculo
- Massimiliano Sommantico (Nápoles – Italia): Pour une définition psychanalytique du lien
- Martine Vermeylen (Bruselas – Bélgica): Narcissisme et objectalité. Parcours d’un lien indifférencié vers un lien intersubjectif
Groupe de synthèse:
- Lucía Balello- Raffaele Fischetti- Fiorenza Milano (Padova-Italia)
- J. M. González Rojas (Madrid-España)
- M. Minolli (Génova – Italia)
- Haydée Popper (París-Francia)
Objectifs du Groupe de travail sur la recherche
Le but de ce travail mis l’accent sur la recherche de points communs fondamentalement, les coïncidences sur le lien dans leur cadre théorique et clinique, sans pour autant éliminer les différences qui peuvent être établis, en prenant comme point de départ de la théorie psychanalytique et dans le notion de l’inconscient
Les auteurs de référence
Nous voulions établir quelles étaient les auteurs ont utilisé à la fois dans la bibliographie et dans leurs conceptualisations des auteurs des travails présentés.
Parmi ces 11 textes reçus, 8 avaient la bibliographie. Dans les trois autres ont été mentionnées par certains auteurs. Sur la base de ces données nous avons pu établir que René Kaës a été cité dans 8 d’entre eux, Sigmund Freud et Wilfred. Bion 7; Alberto Eiguer et Enrique Pichon Rivière 5 ; José Bleger, Didier Anzieu et Marcos Bernard 4. C’est pourquoi l’auteur qui ont été prises en compte et ont développé leurs idées plus souvent, a été Kaës René.
Le mot lien
D’après le Dictionnaire de la langue espagnole (2009), le mot lien [n.du t: vínculo, en espagnol] provient du latin (vincülum) qui signifie union ou attache d’une personne avec une autre.
Le mot « vínculo » possède différentes acceptions dans d’autres langues, lien et vincoloimpliquent une dépendance nécessaire, un assujettissement implicite à des normes, des règles, des lieux et des temps spécifiques.
La notion psychanalytique de lien
Le lien est une notion qui ne fait pas partie des concepts freudiens, il ne figure pas dans le Vocabulaire de la Psychanalyse de Laplanche et Pontalis.
Dans les courants psychanalytiques qui s’occupent de l’étude des groupes, des couples et des familles, nous voyons apparaître une réflexion sur la notion de lien, en la distinguant de la relation d’objet et en lui donnant ainsi sa spécificité.
Le terme utilisé par Freud est die bindung (liaison), défini comme le travail psychique nécessaire pour lier des représentations et des affects, des pulsions ou des idées. Lorsqu’il fait allusion au phénomène des foules, Freud (1921) se réfère aux liaisons libidinales entre les individus qui se produisent à travers l’identification. Il se réfère également à la liaison narcissique qui unit les parents aux enfants et chacun à la chaîne générationnelle (Freud 1914).
Quant à Winnicott (1971), il est important de souligner ses apports sur la co-construction de l’espace entre la mère et l’infans ; la notion d’espace et d’objets transitionnels, et l’idée qu’au début de sa vie le bébé en tant que tel n’existe pas, ce qui prime c’est l’union mère/bébé, les deux étant au départ réciproquement indifférenciés (la mère en régression psychique). Ce développement winnicottien se trouve en consonance avec José Bleger lorsque celui-ci se réfère au lien symbiotique qui existe entre la mère et l’infans.
Piera Aulagnier (1975), à travers sa théorisation sur la rencontre entre la psyché de l’enfant et celle de sa mère, avec son concept de contrat narcissique et la notion d’originaire, établit les bases pour les développements sur le lien et les alliances inconscientes qui se produisent en lui.
W. Bion est le premier auteur psychanalytique qui mentionne le terme lien, et il le définit ainsi : « J’emploie le mot « lien » parce que je souhaite examiner la relation du patient avec une fonction, plus qu’avec l’objet qui remplace une fonction : je ne m’intéresse pas seulement au sein, au pénis ou à la pensée verbale, mais à leur fonction, qui est celle de faire un lien entre deux objets » (Bion W. 1992). Pour Bion, le lien doit être considéré comme l’expression du mécanisme d’identification projective aussi bien de l’enfant vers la mère que le retour de la mère vers l’enfant, « identification projective de communication » (Dupré La Tour,2002, p. 28)Ses développements sur la mentalité de groupe et les présupposés de base, les notions de continent et de contenu, la fonction alpha, la capacité de rêverie, sont des apports fondamentaux pour la compréhension du lien aussi bien dans la construction du psychisme de l’infans que dans les liens qui s’établissent avec l’analyste individuel et dans les groupes. Ces apports seront plus tard la base des développements et des recherches d’Anzieu et de Kaës.
Pour Pichon Rivière (1985), le lien est une structure complexe qui inclut un sujet, un objet et leur interrelation mutuelle, qui s’accompagne de processus de communication et d’apprentissage. Ce processus implique l’existence d’un émetteur, d’un récepteur, une codification et une décodification du message. Ces termes étant essentiels dans le concept de lien de Pichon Rivière, cela pose une difficulté, dans le sens ou cela pourrait nous renvoyer à une communication du type interactionnaliste qui nous semble éloignée de la psychanalyse.
R. Kaës (2005) a essayé de déterminer les conditions qui font du lien une question importante qui mérite d’être inscrite dans la théorie psychanalytique. Il définit le lien par le contenu: « J’appelle lien la réalité psychique inconsciente spécifique construite par la rencontre de deux ou plus de deux sujets » (Kaës 2009-2009b). Il ajoute ensuite une définition en termes de processus: « Un lien est le mouvement plus ou moins stable d’investissements, de représentations et d’actions qui associent deux ou plus de deux sujets pour certaines réalisations psychiques : accomplissement de désirs, protection et défense, levée d’interdits, actions communes (faire, jouer, prendre plaisir, aimer ensemble, etc.) ». Pour Kaës, le lien implique une logique différente de celle qui organise l’espace intrapsychique, il ne s’agit pas de la somme de deux sujets ou plus mais d’un espace psychique co-construit à partir de la matière psychique impliquée dans ses relations, en particulier à travers les alliances inconscientes qui les organisent et les accouplements qui se produisent dans les individus singuliers lors de leur rencontre. Nous pourrions utiliser la suivante formule kaësienne : ni l’un ni l’autre, ni sans l’attache qui les unit à l’ensemble qui les contient et les structure. Le lien est ainsi une formation intermédiaire entre les sujets et les configurations de liens : un groupe, une famille, une institution.
Le Lien et la Relation d’Objet
Laplanche Pontalis (Vocabulaire) définit la relation d’objet comme le « terme très couramment employé dans la psychanalyse contemporaine pour désigner le mode de relation du sujet avec son monde, relation qui est le résultat complexe et total d’une certaine organisation de la personnalité, d’une appréhension plus ou moins fantasmatique des objets et de tels types privilégiés de défense. On parlera des relations d’objet d’un sujet donné, mais aussi de typesde relation d’objet se référant soit à des moments évolutifs (…), soit à la psychopathologie (relation d’objet mélancolique) ». Cette définition implique une perspective intrapsychique de l’individu.
En parlant du lien, nous pourrions dire qu’il précède la relation d’objet, dans la mesure où celle-ci correspond à un fantasme d’intériorisation d’un lien qui se forme et se développe avec un objet de la réalité extérieure. Pichon Rivière souligne que la scène intérieure (la relation d’objet) représente une tentative de reconstruire la réalité extérieure, même si celle-ci subit une déformation le long du passage fantasmatique du « dehors » vers le « dedans ». Ainsi, P. Rivière distingue deux champs psychologiques dans le lien : « un champ intérieur » définit par une relation avec un objet intérieur, et un « champ extérieur » définit par un lien avec un objet extérieur.
La relation d’objet est pour P. Rivière « la forme particulière que prend le Moi lorsqu’il se lie à une image d’un objet localisé en lui » qui se met en mouvement à cause des facteurs instinctifs. La relation d’objet est la structure intérieure du lien et le lien extérieur est le lien psychosocial.
Nous pourrions également penser à une réalisation dialectique entre la relation d’objet et le lien, car d’une part les relations d’objet sont le moteur des liens, elles les organisent et les créent, mais d’autre part ceux-ci (qui expriment une réalité inconsciente spécifique et différente) sont ré-internalisés, en organisant ou en créant à leur tour les relations d’objet.
Pour R. Kaës (1999 p. 87), « Le lien est une affaire avec l’autre ». Ces autres ne sont pas seulement des figurations ou des représentations de pulsions, d’objets partiels, des représentations de choses ou de mot, du sujet lui-même ; les autres sont irréductibles à ce qu’ils représentent pour un autre ».
La perspective diachronique du lien
Dans le développement du lien à partir des expériences primaires, les points de vue des auteurs du groupe de recherche se rencontrent, donnant lieu à une évolution du lien depuis les stades les plus précoces du développement du sujet jusqu’aux stades les plus évolués, ce qui implique une différenciation croissante du lien.
Le bébé humain a besoin pour survivre après sa naissance, compte tenu de sa prématurité psychique et neurologique, d’un autre être humain. La détresse du nouveau-né détermine le cours de son évolution psychique, car pour survivre s’institue une symbiose psychologique et biologique avec le sein, le corps et le psychisme maternel.
A travers l’empathie maternelle les membres de l’unité duelle (mère/bébé) sont connectés comme des vases communicants, en conservant un niveau constant entre la demande et sa satisfaction (semblable à ce qui a eu lieu dans la vie intra-utérine) (N. Abraham 1987). Ce lien fusionnel remplace la perte des enveloppes placentaires et du cordon ombilical dans l’accouchement.
Cette unité duelle se termine avec la séparation progressive du psychisme de ses deux intégrants, et demeure, en tant que rémanent intrapsychique, clivé dans le Ça en déterminant les désirs de fusion (N. Abraham, 2009, p.316). La première représentation que possède un nouveau-né est celle d’un lien qui est l’unité symbiotique mère/bébé et dont la forme de représentation est le pictogramme. L’inscription psychique produite par effet de la répétition et le mode de contact avec la mère vont constituer la peau du lien. Ces inscriptions déterminent l’expérience de satisfaction, son évocation hallucinatoire étant ce que l’on appelle désir. Elles déterminent également « l’arrière-fond symbiotique ou clivé qui soutient l’identité de base de tout lien » (R. Kaës 1996, p. 24).
Les fantasmes originaires universels sont communs aux êtres humains, ils se produisent avant le registre linguistique verbal et dépendent des expériences vécues avec le sein maternel (paradigme du lien). Les propriétés attributives et distributives des fantasmes originaires vont permettre d’établir des liaisons entre les sujets en déterminant des positions et des places à assumer ou à occuper, ce qui va rendre possible la formation de l’Appareil Psychique Groupal (Kaës) et de l’Appareil Psychique de liens (Bernard).
Le lien et l’intersubjectivité
Le concept d’intersubjectivité a été construit à partir des problématiques philosophiques et psychologiques de la conscience et du sujet en rapport avec la reconnaissance du prochain. Ses sources sont la phénoménologie hégélienne, la phénoménologie de Husserl et de Heidegger introduites en France par Levinas, la linguistique de l’énonciation, la psychologie de l’interaction et l’ethnologie G. Devereux).
B. Brusset (2006/5, p. 12229 écrit : « L’intersubjectivité est une notion descriptive qui implique la réciprocité entre deux sujets, entre deux êtres désirants ; elle est faite d’une co-activité psychique différente de celle qui est propre à chacun ».
Cette définition souligne le fait que la notion d’intersubjectivité est descriptive ; autrement dit, elle permet, dans une perspective phénoménologique, de décrire une certaine catégorie de phénomènes, qu’elle ne peut cependant pas expliquer.
Une seconde caractéristique serait la réciprocité entre deux sujets désirants (Vocabulaire technique et critique de la philosophie, André Lalande). Une troisième caractéristique est la réciprocité de la « co-activité psychique » : les deux sujets partagent une même activité psychique. Du point de vue topique, elle est située au niveau de l’expérience consciente et préconsciente, ce qui explique son caractère purement descriptif, en impliquant la méconnaissance de l’inconscient pulsionnel, de la conflictualité intrapsychique et du transfert. Pour B. Brusset (2006/5), l’intersubjectivité ne pourrait être que porteuse d’illusions.
A cette conception de l’intersubjectivité à prédominance nettement philosophique, remise en cause par Brusset, nous pouvons opposer celle que propose R. Kaës qui n’est pas seulement descriptive et qui permet de penser psychanalytiquement les ensembles : groupe, famille et couple, ainsi que les liens formés par les membres de ces ensembles (D. Benhaim 2010)
R. Kaës (Un singulier, pluriel, 2008, p. 218) définit ainsi l’intersubjectivité : « J’ai appelé intersubjectivité la structure dynamique de l’espace psychique entre deux ou plus de deux sujets. Cet espace commun, conjoint, partagé et différencié, comprend les processus, les formations et une expérience spécifique, à travers lesquels chaque sujet se constitue, en partie, en ce qui concerne son propre inconscient. Dans cet espace, dans certaines conditions, en particulier celle de se dégager des alliances qui l’assujettissent aux effets de l’inconscient mais qui aussi le structurent, il semble possible qu’un processus de subjectivation puisse devenir Je, en pensant sa place au sein d’un Nous ».
Pour R. Kaës l’intersubjectivité est la condition du processus de subjectivation du sujet et de la construction de la subjectivité. L’inconscient du sujet est formé par les liens intersubjectifs qui le précèdent : par le groupe familial et par les alliances inconscientes qui se nouent à ce niveau. Le sujet, pour se subjectiviser, cherchera en partie à se dégager de ces liens afin de se constituer comme sujet, c’est-à-dire, se subjectiviser dans l’intersubjectivité.
Liens indifférenciés – différenciés
Les liens indifférenciés (fusionnels) freinent les processus de symbolisation et de transmission, en bloquant l’autonomie du sujet. Le lien différencié (autonome), par contre, met en relation les sujets malgré leurs différences.
Le passage de l’un vers l’autre est un travail de transformation, d’appréhension d’autres aspects de la réalité, il s’agit d’un travail de reconnaissance de « L’autre que je suis » qui a son incidence dans l’autre dans ce que je suis.
Dans la seconde topique, Freud souligne l’importance des identifications dans la constitution de la personne. La transmission passe à travers les identifications, et propose ainsi le glissement de l’extérieur vers l’intérieur, en transformant la relation grâce aux trois fonctions constituantes du système sur-moi : l’auto-observation, la conscience morale, la fonction de l’idéal ; en développant les manières d’observer, les jugements de valeur qui représentent la tradition à travers les générations, et des aspects de l’idéal en rapport avec les projets et l’utopie.
La notion de lien inclut un moi qui observe les va-et-vient entre le sujet et l’objet à travers l’identification projective-introjective. Cette articulation sujet-objet extérieur, « l’autre dans l’objet » selon l’expression de Kaës, met en jeu des investissements des deux côtés, en construant ce que pour Bernard est « l’effet combinaison », le fait que le lien est irréductible à la somme de ses composantes et marque un effet de création.
Cette création fournie par les points de nouage entre les espaces intrapsychiques promeut la constitution de structures, de formations et de processus psychiques, caractéristiques des ensembles intersubjectifs. Cette « corrélation de subjectivités » (Kaës) se configure a travers une dynamique sujet-objet par où circule le désir du sujet et de l’autre dans l’objet. Cette alternance et/ou simultanéité transforment le lien en une structure dynamique, qui nécessite d’une métapsychologie spécifique, comme le propose Kaës.
Le lien, construction intermédiaire, est soumis et modelé par les sujets et la culture, il établit ce qui est prescrit et proscrit à travers le juridique, le religieux, le culturel et l’économique, en impliquant le désir des sujets de construire un lien stable et durable. Pour cela il faut mobiliser des formations intersubjectives : les alliances, les pactes et les contrats, nécessaires puisqu’ils permettent que chaque lien soit institué et instituant.
La fusion initiale bouche-sein marque l’état de lien et amorce la transmission du narcissisme des parents et l’histoire générationnelle de chacun d’eux, en faisant passer les messages hérités aux générations suivantes.
Evidence de lien dans l’objet transitionnel (Winnicott)
Choisir un objet et le situer comme autre, met en évidence le lien que l’enfant déploie avec cet objet-jouet, qui est réel mais va au-delà.
Il n’est pas remplaçable, il possède un investissement projeté et grâce à lui l’enfant peut soutenir, affronter, accepter les changements. Il pourra traverser l’angoisse étayé sur le lien grâce à, et avec, son objet transitionnel. Son existence rend plus complexe et complète le psychisme. C’est un objet qu’il trouve, qu’il crée et re-crée.
Winnicott signale que l’objet transitionnel franchit le défi subjectif, en accord avec le principe de plaisir et le jugement d’attribution projective, ainsi que le défi objectif, en accord avec le principe de réalité et le jugement d’existence, dans un temps où la modalité de lien est déjà établie.
Lien et transmission
Le lien est le support et le vecteur de la transmission psychique. Les ruptures et les avatars du lien produisent des impasses dans la transmission intergénérationnelle, à travers laquelle le patrimoine psychique familial est reçu par une génération, mémorisé, historisé, transformé, élaboré et transmis à la génération suivante.
Au niveau de la transmission trans-générationnelle est « télescopé » ce qui a été vécu, il n’y a pas de processus et la transmission s’effectue en brut. Ce sont donc les avatars de la transmission qui rendent vulnérable le lien. Dans les groupes, les continents psychiques qui ne sont pas fiables s’expriment en donnant lieu à une crise narcissique groupale, et au niveau individuel, en générant de l’incertitude au niveau de l’identité du sujet.
C’est la nécessité de transmettre qui fait lien, elle est génitive et génitrice, elle opère dans les alliances en faisant circuler des contenus, des émoticons, des affects, de l’histoire, des significations, elle se modifie avec l’expérience dans son contenu mais non dans son processus.
Kaës affirme que la transmission psychique est une « production intersubjective de la psyché », qui agit par la charge du lien, et le lien se conçoit dans l’entre, d’où il se transmet, ce sont deux processus imbriqués de manière indissoluble.
Les liens ont quatre sortes d’appuis, qui sont en même temps leurs bords :
– L’expérience corporelle
– L’expérience intersubjective du « nous »
– L’expérience intrapsychique
– L’expérience sociale
Le tissu familial imprégné de vicissitudes permet l’accès au fantasmatique, mais lorsque les vides ou les trous interrompent ce tissu, cet accès est bloqué. E. Granjon (1985) parle d’enveloppe généalogique, une généalogie qui mélange les temps et les espaces, répète des contenus de la vie de certains ancêtres et modifie ainsi la vie de ses descendants.
Le trans signifie donc à travers des liens et l’inter, entre des liens. Pour Kaës (2009), les alliances inconscientes organisent le lien intersubjectif et l’inconscient des sujets. Il distingue : les alliances inconscientes structurantes primaires (de nouage, de plaisir partagé et d’illusion créatrice) et les secondaires (pacte fraternel, alliance avec le père symbolisé et contrat de renonciation à la réalisation directe des buts pulsionnels destructeurs) ; les alliances structurantes métadéfensives (le pacte dénégatif qui ne remettrait pas en cause ce qui est lié, la communauté de denégation, le rejet et le désaveu) ; et les alliances offensives aliénantes(le contrat pervers, les alliances psychopathes).
Toutes ces alliances relient les générations d’un même temps historique ainsi que celles qui les précèdent et les succèdent, en suivant les axes synchroniques et diachroniques.
Les crises familiales structurantes sont marquées par les jalons naturels de la vie comme la naissance, l’adolescence, former un couple, devenir parents, le départ des enfants, devenir grands-parents, devenir les plus âgés du groupe familial, l’ancêtre, et atteindre le moment de la mort.
Les crises dé-structurantes peuvent paralyser le fonctionnement familial comme dans le cas d’une maladie, un deuil, un accident, pouvant constituer un traumatisme et figer le fonctionnement fantasmatique. C’est alors que le trans-générationnel agit dans la crise, se dégage de ses bases, la déliaison apparaît et la temporalité se fige. La base inconsciente du couple repose sur le négatif de la transmission.
Les liens de famille
Ce sont les liens d’alliance ; de consanguinité ; de filiation ; fraternels ; avec les familles d’origine ; l’avunculaire ; les généalogiques ; ceux de cohabitation.
Eiguer distingue les liens narcissiques (indifférenciés) des liens libidinaux (différenciés) qui s’articulent et contribuent à la solidité et à la permanence de l’alliance. Le déséquilibre entre les deux suppose de la fragilité pour la famille. Quant aux formes de choix d’objet : il existe le choix narcissique, recherche d’un objet qui ressemble au sujet, ou qui a été comme lui ou à qui il voudrait ressembler. Le choix anaclitique, d’étayage sur un autre, et le choix oedipien.
Le lien est imprégné de violence structurante, trans-générationnelle. (C. Joubert)
Le lien conjugal se construit et repose sur les défaillances de la filiation de chaque partenaire. Dans la rencontre s’activent les résonances d’aspects trans-générationnels qui supposent parfois la destructivité du lien. Ces souffrances de la transmission engendrent les symptômes, la formation de cryptes, les fantasmes, donnent lieu aux secrets familiaux, en constituant les défaillances du tissu qui affecte l’enveloppe généalogique dont les effets retentissent dans l’appareil psychique familial.
Le lien n’est pas une relation
Le lien est, pour le continent, ce que la relation est pour le contenu. Un continent psychique fragile provoque des épisodes de souffrance de lien et blesse, en portant atteinte à la solidité. Par exemple, si le lien de filiation est attaqué par une non reconnaissance parentale, cela blesse le tissu qui contient le lien et par ses effets, déséquilibre la famille.
A travers la dynamique transféro-contre-transférentielle et intertransférentielle, nous configurons à nouveau les marques de la souffrance, afin de les rendre supportables et acquérir la capacité de construire une nouvelle histoire. La violence sociale qui infiltre les liens familiaux intervient également, puisque la famille est articulée au contexte socio-culturel.
Des perspectives dans le travail en thérapie de couple et de famille, « ni ensemble, ni séparés ».
La souffrance dans le lien est massive lorsqu’il existe de l’indifférenciation ou des projections massives. L’espace potentiel nécessaire pour la créativité ne peut être créé, les imagos figées ne laissent aucun espace à la surprise.
Le travail de la thérapie de couple et de famille a besoin de s’ouvrir au trans-générationnel pour retrouver l’individualité articulée sur l’espace commun : être sujet du couple et de la famille sans s’y perdre ; en déployant ce qui induit à la répétition et aux fonctionnements narcissiques, en révisant la valeur fondatrice de la violence fraternelle. L’espace du lien imprégné de projections moins massives, permettra la mise en place du potentiel créateur et de la capacité de transformation.
Le lien en Psychanalyse
Le travail d’intégration final a été présenté lors d’une session spéciale (table ronde) au quatrième Congrès de l’AIPCF, Juillet 2010, Buenos Aires. Nous joignons à cette bibliographie définitive les travaux des auteurs qui ont fait partie de l’Equipe de Recherche, mentionnés plus haut, vu que cette présentation en est la synthèse.
Traduction Monique Guthman
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Résumé
Ce travail est une synthèse d’intégration finale à partir des travaux individuels réalisés par les membres du groupe de recherche sur le conceptde lien en psychanalyse. L’objectif de ce travail était de trouver les coïncidences des apports effectués par les membres du groupe de recherche, tout en tenant compte des différences par rapport au concept.
Nous considérons que le lien est une structure dynamique qui requiert une métapsychologie spécifique. Dans l’établissement du lien entre deux personnes ou plus, une réalité psychique se constitue (R. Kaës, 2009) laquelle est spécifique à ce lien. Le terme de lien se différencie de la relation d’objet. D’autre part, nous considérons que le lien précède la relation d’objet.
Partant d’une perspective diachronique, le psychisme se construit progressivement, en différenciant et en complexifiant à partir du lien primitif (duel) du ☺bébé avec sa mère ou un autre adulte significatif.
On différencie le lien de l’intersubjectivité et caractérise et fait une distinction entre liens indifférenciés (transubjectifs) et liens différenciés (intersubjectifs).
Ce qui est impliqué fondamentalement, c’est le désir des sujets de construire un lien stable et durable générant des formations intersubjectives comme les alliances, les pactes et les contrats inconscients.
On tient compte de l’apport de D. Winnicott d’objet de transmission psychique consciente et inconsciente entre ses membres, aussi bien dans sa dimension synchronique que diachronique (la transmission générationnelle et transgénérationnelle) Il existe quatre appuis du lien : dans l’expérience corporelle, dans l’intersubjectif, l’intrapsychique et le social.
Du point de vue socioculturel, le lien est modélisé par la culture à travers le juridique, la religion, l’économie, etc.
Quant à la souffrance qui se produit dans le lien, elle peut être massive et intense lorsqu’il y a une indifférenciation ou une désubjectivation qui bloque le développement de l’espace potentiel (transitionnel) permettant la transmission intersubjective et la créativité.
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Mots clés
Lien – Relation d’objet – Intersubjectivité – Réalité psychique inconsciente du lien – Liens différenciés et indifférenciés – Formations intersubjectives.
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Resumen
Este trabajo es una síntesis de integración final a partir de los trabajos individuales realizados por los miembros del grupo de investigación acerca del concepto de vínculo en psicoanálisis.
El objetivo del trabajo fue encontrar las coincidencias de los aportes efectuados por los integrantes del grupo de investigación, aunque se tomaron también en cuenta las diferencias acerca del concepto.
Consideramos que el vínculo es una estructura dinámica que requiere una metapsicología específica. En el encuentro vincular de dos o más sujetos se constituye una realidad psíquica inconsciente (R. Kaës 2009), que es específica para dicho vinculo. El término vínculo se diferencia de la relación de objeto. Consideramos por otra parte que el vínculo precede a la relación de objeto.
Desde una perspectiva diacrónica el psiquismo se va constituyendo, diferenciando y complejizando a partir del vinculo primitivo (dual) del bebé con su madre u otro adulto significativo.
Se diferencia el vínculo de la intersubjetividad. También caracterizan y se distinguen los vinculos indiferenciados (transubjetivos) de los diferenciados (intersubjetivos).
Implica fundamentalmente el deseo de los sujetos de construir un vinculo estable y duradero que genera formaciones intersubjetivas como las alianzas, pactos y contratos inconscientes.
Se toma en cuenta el aporte de D. Winnicott de objeto transicional al concepto de vínculo.
El vínculo es además el soporte y el vector de la transmisión psíquica consciente e inconsciente entre sus miembros, tanto en su dimensión sincrónica como diacrónica (la transmisión generacional y transgeneracional) Existen cuatro apoyaturas del vinculo: en la experiencia corporal, en lo intersubjetivo, lo intrapsíquico y lo social.
Desde el punto de vista sociocultural el vínculo es modelizado por la cultura, a través de lo jurídico, la religión, la economía etc.
En cuanto al sufrimiento que se produce en el vínculo puede ser masivo e intenso cuando hay indiferenciación o desubjetivación que traba el desarrollo del espacio potencial (transicional) que permite la transmisión intersubjetiva y la creatividad.
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Palabras Claves
Vínculo – Relación de objeto – Intersubjetividad – Realidad psíquica inconsciente del vinculo – vinculos diferenciados e indiferenciados – Formaciones intersubjetivas
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Summary
This paper is a synthesis of the integration of individual papers written by members of the group of investigation on the concept of link in psychoanalysis.
The aim of this paper was to find convergences in the contributions of group members, although divergences regarding this concept were also taken into account.
We consider the link a dynamic structure requiring a specific metapsychology. In the link encounter between two or more subjects, an unconscious psychic reality (R. Kaës 2009) is constituted, specific to each link. The term ‘link’ is differentiated from object relations. We consider that the link precedes object relations.
In the diachronic perspective the psyche is gradually constituted and becomes differentiated and more complex beginning with the primitive (dual) link between the baby and its mother or other significant adult.
The link is also differentiated from intersubjectivity. The authors characterize and individualize undifferentiated links (trans-subjective) from differentiated links (intersubjective).
The link essentially implies the desire of the subjects involved to construct a stable and lasting link that generates intersubjective formations such as unconscious alliances, pacts and contracts.
The authors discuss D. Winnicott’s contribution of the transitional object to the concept of the link.
The link is also the support and vector of conscious and unconscious psychic transmission between its members, both in its synchronic and diachronic dimensions (generational and transgenerational transmission. The link is supported by four factors: bodily experience, the intersubjective, the intrapsychic and the social.
In the sociocultural view, the link is modelled by culture through the legal system, religion, economy, etc.
In reference to suffering produced in the link, it may be massive and intense when undifferentiation or de-subjectivization blocks the development of the potential (transitional) space that enables intersubjective transmission and creativity.
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Key words
Link – Object relation – Intersubjectivity – Psychic reality Unconscious link – differentiated and undifferentiated links – Intersubjective formations