Nous désirons souligner l’importance de ce congrès, qui est l’occasion d’un échange dialectique sur le processus de «métamorphose familiale» auquel nous assistons aujourd’hui et dans lequel nous sommes tous impliqués à la fois comme individus et comme thérapeutes.

La recherche sur la famille doit désormais tenir compte de l’hétérogénéité évidente des structures et des fonctions des groupes familiaux: ce serait cependant une erreur de croire que, dans le passé, il y avait la «famille», alors qu’aujourd’hui on ne sait pas trop ce qu’il y a. On devrait dire plutôt qu’une famille «canonique» n’a jamais existé. On peut en effet affirmer que la famille est une des institutions les plus mouvantes et adaptatives de l’histoire de l’humanité, ce qui lui a permis de persister à travers des systèmes sociaux différents.

Dans la littérature et dans l’histoire, il existe de nombreux exemples de familles que nous qualifierions aujourd’hui de familles «recomposées ou reconstituées».

En partant de quelque chose qui nous est familier, comme l’histoire du père de la psychanalyse, nous pouvons considérer ainsi la famille de Freud où Jacob, le père, avait fait un premier mariage – dont il avait eu deux enfants – et peut-être un deuxième qui, d’après certains biographes, s’était achevé à cause de la stérilité de son épouse. Au moment de la naissance de Freud, premier enfant né du troisième mariage, son père était grand-père d’un petit garçon d’un an et d’une petite fille qui venait de naître. Freud avait donc le même âge que ses neveux et une mère qui avait le même âge que ses demi-frères. Le réseau familial autour de Sigmund enfant paraît complexe et même paradoxal: bien qu’étant le premier-né, il avait un «frère aîné» et une «sœur jumelle», qui étaient en fait ses neveux.

On peut dire que la psychanalyse elle-même est issue d’une famille reconstituée!

Devenu adulte, Freud, dans son ouvrage sur Léonard de Vinci où il cherche à analyser les fantasmes inconscients de l’artiste, se penche sur l’histoire familiale de ce dernier. Né d’une relation illégitime, il passe les premières années de sa vie avec sa mère naturelle, puis est accueilli dans la maison de son père où il est élevé par celui-ci et par son épouse légitime, qui était stérile. Le père se remarie ensuite quatre fois, après être resté veuf, et engendre douze autres enfants.

D’autres exemples vous sont sûrement venus à l’esprit. Qu’y a-t-il alors de nouveau, quel est l’aspect particulier sur lequel nous sommes aujourd’hui appelés à nous interroger?

On peut penser que la différence ne réside pas seulement dans la variation phénoménologique de la structure familiale, mais aussi et surtout dans les implications liées aux valeurs, sémantiques et psychiques que ces formes ont eu dans le temps pour l’individu et pour la collectivité sociale.

On peut dire que les problèmes personnels, dont l’implication psychologique était incontestable, ont trouvé dans le passé des solutions le plus souvent «privées», mais tolérées implicitement par le contexte social. A notre époque, on a peut-être commencé à accorder une plus grande attention aux besoins, aux émotions, aux droits des individus, en tant que sujets, et à s’orienter davantage vers la recherche de solutions «publiques», vers la reconnaissance sociale et juridique des droits individuels (divorce, adoption, fécondation médicalement assistée, etc.). Il faut également considérer – même si nous ne nous attarderons pas là-dessus – qu’il existe d’autres poussées qui conduisent à une dérive où l’affirmation d’un individualisme essentiellement caractérisé par des aspects narcissiques l’emporte sur l’attention vis-à-vis de l’individu.

L’entrée sur scène du sujet met au premier plan, de manière incontournable, la complexité des implications psychiques qui accompagnent l’individu dans la construction, la modification et le choix de ses liens affectifs.

Outre ces difficultés, nous subissons le «bombardement» médiatique de modèles familiaux fortement idéalisés où la tolérance d’une part de souffrance psychique n’est pas prévue.

L’écart entre une perspective idéale et une réalité rendue de plus en plus complexe et frustrante par les difficultés génère une souffrance supplémentaire.

C’est le désir même que ce qui est familier reste tel quel qui rend sans doute plus difficile de comprendre et d’accepter les inévitables difficultés des changements dans un contexte familier tel que l’institution de la famille.

Les principaux phénomènes auxquels nous sommes confrontés au quotidien, tels que les séparations, les divorces, les deuxièmes ou troisièmes mariages, les adoptions, les familles multiethniques, les unions homosexuelles, la procréation médicalement assistée, peuvent susciter en nous une sorte de désorientation à cause des difficultés que nous avons parfois à repérer dans notre esprit les éléments nécessaires pour situer dans le cadre de l’expérience quelque chose qui peut avoir pour nous un caractère d’étrangeté. Ce sont des nouveaux modes de vie et de nouvelles formes de vie commune qui revendiquent l’appellation de «famille».

La désorientation devrait accompagner notre observation dans le cadre de cette recherche sans se transformer, par défense, ni dans une forme préjudicielle, dans le sens d’une opinion préconçue, ni dans une forme acritique, dans le sens d’une simple adhésion à la dimension phénoménique; dans les deux cas, elle rend impossible l’exploration et la transformation du «connu non pensé».

Par cette contribution, nous souhaitons réfléchir avec vous sur la nature du travail psychique auquel sont confrontés les individus qui créent ces nouvelles configurations, que l’on appelle souvent dans le langage courant «nouvelles familles», «familles recomposées» ou «familles reconstituées» suivant que l’accent est mis sur l’aspect réparateur ou sur le retour à une forme primitive idéale.

Un élément que ces nouvelles familles ont en commun est d’être confrontées à une expérience douloureuse, un deuil, une perte, une séparation.

On ne peut réfléchir sur les nouveaux scénarios relationnels qu’en partant de ce qui les a précédés: le lien qui sous-tendait la relation précédente et ses difficultés spécifiques. En effet, le lien psychique avec l’objet ne cesse pas et résiste dans le temps, avec de complexes vicissitudes internes, en raison des processus d’intériorisation et parce que la présence éventuelle d’enfants est un rappel constant de l’autre et de la famille qui n’est plus.

En pensant au développement psychologique et aux processus d’adaptation des individus, on peut se demander quel est le rapport dynamique qui s’établit avec le monde fantasmatique interne, les représentations mentales, les relations d’objet, les liens, tant chez les individus que dans le groupe familial. Comment construire de nouveaux liens et comment défaire les liens anciens en préservant sa propre continuité psychique interne?

Il nous paraît utile, pour essayer de répondre à ces questions, d’avoir recours aux notions de processus de subjectivation, de lien et de liaison-déliaison-reliaison comme vertex d’observation possibles.

La subjectivation est un processus qui dure toute la vie et qui subit une impulsion particulière dans certaines phases ou circonstances où s’ouvrent, entre le rétablissement de liens anciens et la création de nouveaux liens, des possibilités de changement considérables compte tenu de l’ampleur et de l’intensité de l’activité de déliaison et de reliaison qui se met en marche. Ce processus crée de nouvelles modalités de travail psychique qui peuvent être à la base d’une meilleure qualité de la relation du sujet avec lui-même et avec les autres, mais également de distorsions, clivages, forclusions qui réduisent sensiblement cette qualité, dépassent les capacités de fonctionnement psychique du sujet et mettent en échec les processus de pensée et de symbolisation. Les mécanismes de défense mentionnés plus haut protègent le sujet contre le conflit, mais l’empêchent de devenir «le sujet de ses propres conflits» (Cahn, 1998).

La subjectivation est un concept qui rend compte tant du processus que de la relation: le sujet qui participe à la relation avec l’objet en tant qu’autre et le processus de subjectivation de la fonction du Moi et de la constitution de la capacité d’autoreprésentation.

Le processus de subjectivation se fonde sur l’exigence d’établir des liens internes et externes, ainsi que sur la nécessité de les remettre en question: liens intrapsychiques qui, comme l’évoque Bion, peuvent être des liens entre la pulsion et la représentation, entre des représentations différentes, entre la pensée et l’affect, entre l’individu et sa capacité de penser, ou liens interpersonnels entre deux individus.

La possibilité qu’un individu se donne de tolérer une part d’imprévisibilité et de nouveauté dans ses liens ou le besoin de rester dans une dimension connue détermine, d’après nous, la différence.

Toute relation de couple se fonde sur une part de lien narcissique-identificatoire et sur une part de lien du sujet avec l’objet reconnu comme autre, dans sa différence. Pour que cette dernière condition se réalise, il faut qu’un processus de subjectivation, en tant que différenciation des objets primaires, ait démarré. L’émergence d’une nouvelle «poussée libidinale» interne ou externe peut confirmer ou transformer les modalités existantes du processus de subjectivation de chaque partenaire.

On peut penser aux liens dans leur fonction défensive ou, vice versa, favorisant un nouveau sujet qui reconnaît l’autre et sa différence avec l’objet interne et le statut d’objet externe, la réalité intérieure et sa relation à la réalité extérieure, la ressemblance et l’altérité existant entre les individus.

 

Matériel clinique

Dans l’économie de ce travail, nous avons jugé plus utile de concentrer notre attention sur un seul matériel clinique, vu la complexité des thèmes abordés. Nous ne pensons pas, bien sûr, qu’il puisse exemplifier les situations très variées qui se présentent à nous, mais plutôt qu’il peut nous aider à réfléchir sur la difficulté – à laquelle nous sommes souvent confrontés – de situations qui, de par leurs caractéristiques, introduisent un «nouveau» qui peut être difficile à penser.

Ce matériel clinique, qui toutefois ne permet pas d’approfondir les divers aspects de la fonction analytique, sera utilisé pour mettre en lumière les processus de liaison et de reliaison qui peuvent avoir lieu dans le travail de transformation des liens de couple dans les deuxièmes unions.

Un couple nous est adressé pour un problème concernant une fillette de sept ans, qui manifeste une énurésie nocturne et une agitation jointe à des difficultés de concentration dans l’activité scolaire.

La femme, Anna, qui a environ 35 ans, est professeur de gymnastique dans une salle de sport privé; le mari, Piero, âgé de 40 ans, dit qu’il a un cabinet de dentiste avec son frère où il exerce depuis toujours le métier d’orthodontiste, une activité qu’il a héritée de son père. Il a déjà été marié, il est veuf depuis près de sept ans et Anna est sa deuxième femme depuis environ trois ans. La petite fille pour laquelle ils sont venus est née du premier mariage et, au moment de la consultation, il n’y a pas d’autres enfants.

En explorant leur point de vue sur les difficultés de la fillette, on remarque d’emblée leur besoin partagé de souligner qu’elle est «la chose la plus importante» pour eux et que, par conséquent, tous les choix du couple ont été déterminés par l’idée de ne pas la faire souffrir «car elle a déjà subi la perte de sa mère», morte d’un infarctus quand la petite n’avait que quelque mois. Le père raconte qu’il s’est entièrement consacré à sa fille, en modifiant radicalement son mode de vie.

Sa fille et lui deviennent en effet indissolubles et l’enfant «occupe» immédiatement le grand lit.

Bien que la demande d’aide concerne l’enfant, au terme de la phase d’évaluation plusieurs éléments tels que la mobilité du symptôme, la relation symbiotique de la petite avec son père, la perception de l’absence d’un espace psychique de couple et en dernier, mais non par ordre d’importance, la sensation de l’analyste d’une forte demande implicite de s’occuper d’eux, conduisent à proposer une thérapie de couple.

Dès la première séance, la scène analytique est «occupée» par les récits et par les vécus liés à la mort de la première femme. Après quelques entretiens, Piero, en proie à une forte angoisse et en pleurs, déclare «vouloir dire la vérité», tout en craignant de provoquer chez l’autre un rejet et un jugement négatif.

Le secret concerne sa séropositivité, qu’il a découverte quand le SIDA a été diagnostiqué à sa première femme durant sa grossesse. Celle-ci avait sans doute contracté la maladie durant son adolescence vécue à l’enseigne de la promiscuité, mais lorsqu’ils s’étaient rencontrés, cela faisait désormais partie du passé. Pendant plusieurs séances, le thème central est la possibilité, pour le mari, d’exprimer ce qui n’a jamais été dit jusque-là et qui, surtout, n’a pas trouvé un espace de représentation en lui. Une fois le secret levé, Piero peut enfin se raconter vraiment à lui-même, à Anna et à une «tierce personne».

La grossesse avait accéléré la manifestation de la maladie, qui s’aggrava après l’accouchement avec la survenue d’un infarctus cardiaque qui entraîna la mort de la patiente. Durant la première année, la petite devint séronégative après avoir perdu les anticorps hérités de sa mère. Piero interrompit même son activité professionnelle de peur d’infecter ses patients.

Les tons des rencontres, toujours très intenses, évoquaient d’une part des images et des états émotionnels caractérisés par une maniacalité qui s’exprimait au mieux dans l’action et, de l’autre, la lutte pour la survie, le «tenter le tout pour le tout» et le retrait, le repli sur soi, la distance.

La demande d’aide semblait sous-tendue par un sentiment ambivalent, à la fois ouvert à l’avenir et chargé du vécu que quelque chose d’irréparable pouvait se produire d’un moment à l’autre.

Au cours de cette première phase, Anna gardait la plupart du temps un silence attentif et participatif, en apprenant des «morceaux d’histoire» qui lui étaient inconnus, frappée par l’état émotionnel de son mari qu’elle avait toujours considéré comme une personne forte et qu’elle n’imaginait pas si souffrant.

Le travail clinique a ensuite exploré les phases initiales de leur relation, en leur permettant de resignifier leurs souvenirs, parmi lesquels le dévoilement du secret. Piero le révèle à Anna lorsque leur fréquentation devient plus importante sur le plan affectif, convaincu que cela mettra fin à leur relation. Contrairement à ses attentes, Anna le choisit définitivement.

Divers éléments émergent, comme le fait qu’Anna avait eu une mère absente et un père dont elle s’occupait à sa place, la faible différenciation de Piero d’avec sa mère, le fait qu’il avait assumé le rôle du père en tant que fils aîné après la mort subite et inattendue de ce dernier, le mandat de poursuivre son activité. Il émerge également le besoin de Piero de se consacrer entièrement à sa fille, en jouant le double rôle du père et de la mère pour remplir un vide.

Durant toute la première phase du travail thérapeutique, Piero reste convaincu de ne pas pouvoir être un objet d’amour.

Il semblerait que la rencontre de couple s’est fondée sur une assurance narcissique: pour Piero, être accepté malgré les «dégâts» qu’il a subis, pour Anna la valorisation narcissique de le choisir en dépit de ces «dégâts».

Ce choix ne permet pas d’élaborer le deuil et la perte, le secret partagé étant une forme de négation collusoire.

En choisissant Piero, Anna inclut également, de manière indissoluble, la petite qu’elle perçoit comme une «partie» du père, de même que Piero la vit comme une partie de lui-même, à tel point qu’ils font un voyage de noces à trois. Le travail clinique montrera qu’à ce moment-là ils n’étaient pas encore un couple et que le fait d’être trois ne correspondait pas non plus à une triangularité.

Anna, en acceptant d’entrer dans une maison qui gardait intacte la présence de la première femme – même à travers les objets – et de partager le lit conjugal avec la petite, a surestimé sa capacité de tolérer cette situation. Le choix, avec ses caractéristiques de toute-puissance, semble correspondre à une image de Moi idéal.

Anna pouvait également réaliser le fantasme de prendre la place d’une mère qui, par sa mort, avait été «une mère absente», en se donnant en même temps la mère qui – par son absence – lui avait manqué.

La satisfaction de besoins narcissiques-omnipotents prévaut dans le couple et ne permet pas l’émergence d’une pulsionnalité.

Dans le processus thérapeutique, une capacité autoréflexive a été mobilisée grâce à l’identification avec la fonction analytique du thérapeute et à la possibilité de se sentir reconnu et vu dans sa propre subjectivité, ce qui a permis d’amorcer des transformations.

Au fil des séances, la centralité de l’enfant laisse vite la place à leur relation de couple et à leur lien profond. C’est à partir de la petite, qu’ils commencent tous les deux à voir progressivement dans son altérité, que s’amorcent les déliaisons.

Anna et Piero peuvent envisager de ne pas avoir besoin de maintenir une représentation parentale défensive idéale, qui servait à l’une de protection contre ses vécus infantiles d’abandon et, à l’autre, pour faire face aux sentiments de perte non élaborés et au vécu mortifère de la maladie.

Ils avaient en commun une subjectivité très incomplète, encore enchevêtrés dans les liens de dépendance des objets primaires que, même chez Piero, le premier bref mariage n’avait pas modifié. Il semblait en effet ne pas réussir à mettre un frein à l’intrusion maternelle tant interne que réelle, du moment que sa mère continue à s’occuper de sa maison.

L’expérience de la séparation semblait être entravée chez eux par l’impossibilité d’une élaboration, qui avait son origine dans leurs histoires familiales respectives où les pertes avaient été niées par la substitution.

Ce n’est peut-être pas un hasard si la difficulté actuelle a surgi face à la croissance et à la poussée séparative de l’enfant.

Anna ressent de plus en plus le besoin d’exprimer de manière libre et personnelle son rôle vis-à-vis de la petite: elle ne tolère plus que Piero occupe entièrement son espace émotionnel et accepte de renoncer à la représentation d’objet primaire idéal qu’elle avait placée en lui. A ce premier niveau de transformations, qui concerne les fonctions et les internalisations parentales, correspond une modification de leur lien.

C’est dans cette phase de l’analyse de couple qu’Anna porte le rêve suivant, qui semble être un rêve de couple: «Je me trouve dans une vieille maison à plusieurs étages, des travaux de réaménagement sont en cours, il faut diviser l’espace peut-être pour faire plusieurs appartements. J’avais choisi un très joli carrelage et je me demandais s’il plairait à Piero». Anna associe les travaux de réaménagement au travail actuel de Piero, qui dirige une petite entreprise de bâtiment, et reconnaît en même temps que son désir est peut-être d’aller vivre dans une nouvelle maison, une maison «à nous». Piero souligne à son tour qu’à présent sa nouvelle activité, qu’il avait choisie au début comme un pis-aller, lui plaît et il marque son individuation par rapport à la figure paternelle. Le rêve semble représenter de manière condensée une série de transformations psychiques de cette période: possibilité de se délier de «vieilles» représentations de soi, possibilité de se penser différents l’un de l’autre et séparés des objets originaires, pouvant investir libidinalement dans le changement.

Une plus grande différenciation interne leur permet de se reconnaître dans leur altérité, en introduisant également une dimension dialectique-conflictuelle qui s’exprime surtout grâce à Anna. En effet, face à ces changements intrapsychiques et interpersonnels, émerge la demande de modifier même les espaces physiques.

La maison commence aussi à exprimer davantage l’identité naissante du nouveau couple et on parvient enfin à mettre des limites à l’intrusivité de la mère de Piero.

Les déliassons pulsionnelles par rapport aux objets infantiles et à la première femme qui représentait leur continuité font place à de nouveaux investissements et permettent de donner forme à un nouveau lien entre eux, caractérisé par un nouvel investissement objectal.

C’est durant cette phase qu’ils manifestent leur désir d’avoir un enfant. Désir qui, autrefois, n’avait même pas pu être pensé à cause de l’absence d’un espace imaginaire symbolique, générateur de couple, que la séropositivité n’avait fait que confirmer.

Le fait de laisser la place à un enfant dans leur esprit remet en jeu leur identité et exige que les fantasmes primitifs d’une union exclusive avec leurs propres objets parentaux soient ramenés à de justes proportions.

La poussée procréative les oblige à se soumettre à une procédure médicale complexe, qui comporte une fécondation assistée avec stérilisation du sperme, afin de préserver la future mère et le fœtus de l’infection virale, en les confrontant également à l’angoisse de mort.

Les deux premières tentatives d’insémination échouent.

C’est après le deuxième échec que Piero fait le rêve suivant: «Je porte un survêtement, peut-être une combinaison de plongée, je ne me souviens pas, quelque chose qui me protège, mais qui en même temps me serre. Je prends un couteau et je commence à la couper, je la mets en pièces et je me retrouve entièrement nu». Les associations portent sur son attention, ses efforts, son obsession de maintenir un corps sain, bronzé, en forme, de devoir le mettre constamment à l’épreuve en le soumettant à des efforts physiques comme pour prouver qu’il est vivant. Un corps qui, devenu une combinaison, l’a rendu imperméable à l’idée d’être malade en étouffant et en empêchant tout contact avec les émotions.

C’est à partir de la douleur partagée de cette expérience qu’un espace d’élaboration peut être ouvert sur le vécu de contaminer et d’être contaminé avec le caractère perturbateur qui l’accompagne, d’être malade, de tomber malade et de mourir.

La possibilité apparaît d’entrer en contact avec des sentiments de perte, de manque, de fragilité, d’incertitude qui semblaient autrefois exclus.

Après l’échec de cette tentative de procréation, Piero et Anna ressentent la limite de leurs corps, des corps qu’ils ont tous les deux surinvestis par de lourds entraînements, comme pour s’assurer un support défensif tout-puissant face à des sensations dangereuses de fragilité narcissique, qui signalait cependant le risque d’un effondrement.

Quelques mois plus tard, ils annoncent le début d’une grossesse qui se déroulera sans problèmes, mais avec de nombreuses précautions qui obligent à suspendre momentanément le travail analytique.

Il y a un mois, nous avons reçu un coup de téléphone nous annonçant la naissance d’un petit garçon.

 

Quelques considérations finales

Nous pensons que dans les couples des familles recomposées, la construction de nouvelles trames de sens doit inévitablement passer par le travail de dépassement du deuil et de séparation, conditions préalables du processus de subjectivation et du travail de déliaison et reliaison.

Il nous semble que le matériel clinique présenté fournit des pistes pouvant mettre en évidence ce parcours.

L’idée qui naît dans l’esprit de l’analyste de choisir un cadre de couple représente, d’après nous, une première délimitation de l’espace conjugal qui paraissait confondu avec celui de l’enfant, sur laquelle reposait le sens de leur existence comme couple. Si, au niveau intrapsychique, l’enfant pouvait représenter des aspects internes clivés et projetés de chacun des deux, au niveau interpersonnel elle était l’objet commun d’investissement.

Le dévoilement du secret enclenche le processus de deuil et de séparation, y compris la possibilité de faire face aux sentiments dépressifs et à la transformation de la toute-puissance narcissique du Moi idéal. Cette autre déliaison, qui commence à faire émerger les altérités, permet la constitution progressive d’un nouveau lien de couple.

Si, d’une part, la séropositivité représentait l’élément qui rendait impossible un investissement sexuel total du couple, elle constituait d’autre part, en tant que secret partagé, l’élément qui l’unissait.

L’élaboration des sentiments de culpabilité, liés chez Piero au fait d’avoir survécu et, chez les deux, à un fantasme œdipien, leur fait entrevoir la possibilité de se percevoir comme sujets désirants et objets de désir.

Ce mouvement favorise un processus de déliaison-reliaison qui leur permet d’envisager la possibilité de procréer, en se reconnaissant un aspect libidinal, vital et en s’identifiant à de «bonnes» figures parentales.

On peut penser que la possibilité transformative du fonctionnement psychique des individus et du couple a pris forme également grâce à la fonction de contenance du cadre, construction interne de l’analyste qui, restant en contact avec les sentiments dépressifs et pouvant être un sujet porteur de deuil, a représenté un modèle identificatoire internalisable.

S’il est vrai qu’un aspect central de la fonction analytique est de «décrire quelque chose qui est au-delà des possibilités du langage», en pénétrant rien que par les mots dans un monde de sentiments, de fantasmes, d’images irréductibles à tout processus linguistique (A. Di Benedetto), celle-ci devient encore plus complexe lorsqu’elle est confrontée à des aspects inconnus.

Nous pensons, par ailleurs, que l’analyste, confronté à des situations aussi nouvelles et complexes, doit pouvoir renoncer à son propre imaginaire familial, habituel et rassurant, et supporter d’entrer en contact avec des aspects perturbants pour lesquels il n’existe pas de réponses sûres.

En effet, si la naissance même de l’enfant peut être accueillie, d’une part, comme l’expression de l’instauration d’un processus transformatif psychique des individus et de la relation de couple, de l’autre elle met inévitablement l’analyste face aux implications éthiques d’une réduction des limites que la technologie, par exemple, rend maintenant possible.

De nos jours, notamment, l’analyste doit veiller aux risques d’une collusion avec une dimension toute-puissante du lien qui s’oppose à l’établissement d’une relationnalité fondée sur la reconnaissance du sujet, de l’autre, d’une transitionnalité, du dépassement du deuil, de l’établissement d’une dimension œdipienne.

Nous pensons que si la tâche de la psychanalyse est, d’une part, d’accueillir et de signifier la souffrance qui naît dans l’individu et dans les relations familiales, elle doit être aussi, de plus en plus, de contribuer aux choix juridiques-politiques, par la diffusion des connaissances issues de la clinique.

 

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